av George Sand
270,-
C'était une femme de vingtcinq ans, d'une beauté pure et touchante, d'un esprit mur et sérieux, d'une tournure jeune et pleine d'élégance. Au premier abord, cette beauté avait un caractère peutêtre trop chaste et trop grave pour qu'il y eût moyen de mettre, comme on dit, un roman sur cette figurelà. L'extrême douceur du regard, la simplicité des manières et des ajustements, le parler un peu lent, l'expression plus juste et plus sensée qu'originale et brillante, tous ces dehors s'accordaient parfaitement avec tout ce que le monde savait de la vie d'Alice de T Un mariage de convenance, un veuvage sans essai et sans désir de nouvelle union, une absence totale de coquetterie, aucune ambition de paraître, une conduite irréprochable, une froideur marquée et quelque peu hautaine avec les hommes à succès, une bienveillance désintéressée à l'égard des femmes, des amitiés sérieuses sans intimité exclusive, c'était là tout ce qu'on en pouvait dire. Lions et lionnes de salons la détestaient et la déclaraient impertinente, bien qu'elle fût d'une politesse irréprochable, savante même, et calculée comme l'est celle d'une personne fière à bon droit, au milieu des sots et des sottes. Les gens de coeur et d'esprit, qui sont en minorité dans le monde, l'estimaient au contraire; mais ils lui eussent voulu plus d'abandon et d'élan. Quelques observateurs l'étudiaient, cherchant à découvrir un secret de femme sous cette réserve inexplicable; mais ils y perdaient leur science. Cependant, disaientils, cet oeil noir si calme a des éclairs rapides presque insaisissables; ces lèvres qui parlent si peu ont quelquefois un tremblement nerveux, comme si elles refoulaient une pensée ardente; cette poitrine si belle et si froide a comme des tressaillements mystérieux. Puis tout cela s'efface avant qu'on ait pu l'étudier, avant qu'on puisse dire si c'est une aspiration violentée par la prudence, ou quelque bâillement de profond ennui étouffé par le savoirvivre.