Om Kalaam des âmes
Écrire est une souffrance.
La vie est un opéra. Chacun y joue un rôle. Le bon acteur est celui qui mémorise son texte, qui n'est rien d'autre que ses principes. Au fil du temps, il apprend ses pas. Il lui arrive de faire un faux mouvement, de tomber, mais il se ressaisit. Il sort de ses déboires, grandi, maîtrisant ses gestes à la perfection. Le mauvais acteur, par contre, suit le mouvement d'ensemble. Il balbutie des bribes de texte qu'il saisit au vol. Il bégaie et trébuche. Et quand il tombe, il ne se relève jamais. L'auteur participe à cette comédie de tristesse qu'est la vie. Écrire n'est jamais un choix. Ce n'est pas un travail ni une spécialité. L'écriture est le domaine de la souffrance et de la tristesse. Même devant un heureux événement, on trouve toujours énormément de souffrance le long du chemin. Écrire soulage le désespoir qui s'est enraciné autour de l'auteur, un désespoir que beaucoup tiennent secret, mais qui se révèle sur les visages, par la chute des épaules et à travers l'affaissement du regard. L'auteur parle au subconscient. Ses mots sont comme autant de messages laissés à un répondeur. Il n'est pas sûr qu'ils seront reçus, pourtant il continue de les enregistrer sur la bande magnétique du temps. Écrire n'est pas une sinécure. Il y a la peur de la page blanche bien sûr. Mais il y a aussi le qu'en-dira-t-on. L'auteur doute perpétuellement de lui-même. En lisant les écrits des autres, il trouve les siens de simples histoires sans intérêts. Tout, en dehors de la plume, lui paraît intéressant. L'institutrice rend les enfants heureux. Il constate l'enthousiasme de ceux qui s'occupent des mariages et des cérémonies. Ils font tout pour que des vies s'unissent et ils assistent, tout contents, à la naissance d'un avenir qui se veut radieux. Il entend souvent les vendeuses de boutiques se réjouir de pouvoir habiller de coquettes dames ou des gentlemen attendus quelque part. Même la description du travail d'un programmeur informatique donne une image attrayante du plaisir qu'on peut trouver à jouer avec une souris dans un bureau tranquille, devant un écran bleuté. Écrire, c'est, parfois, se jeter dans une rivière aux eaux tumultueuses à la recherche d'un gué pour les autres. Et pendant qu'il se noie, l'auteur gesticule à ceux qui sont restés sur la berge. Il voudrait bien qu'il cherche ailleurs le passage, en vain. Ils prennent cela pour un signe et se jettent à l'eau à sa suite. Écrire, c'est être une bonne libraire du type ancien, celle qui conseille le lecteur, lui indique comment trouver le chemin dans le dédale des étagères; celle qui pointe du doigt le livre à lire et réserve les ouvrages introuvables à ses meilleurs clients. Écrire, c'est aussi être un artiste qui a pour toile le corps meurtri de la société. Chaque misère, chaque déboire et chaque angoisse qu'il décèle finissent par devenir ses chefs-d'oeuvre. L'auteur prend soin des histoires comme autant de bijoux précieux. Il les soigne avec ses mots et met sur les plaies la lotion de la consolation. Durant la nuit, seul, reclus parmi ses pages, l'auteur palabre avec ses propres sensations qui ont été violentées par le contact des autres. Oui, écrire une souffrance, mais c'est une souffrance nécessaire. L'auteur est comme le petit Poucet qui suit celui qui veut le perdre et qui, pourtant, sème des petits cailloux pour retrouver le chemin. Pas pour lui seul, mais pour toute la fratrie. Écrire, c'est semer les graines de l'espoir sur la peine de la société en espérant qu'elles germent avec la sève de la plainte et donnent un grand arbre aux rameaux solides sous lequel on abritera nos consciences.
Visa mer